jeudi 29 septembre 2016

Nucléaire en Polynésie: le temps de l'excuse

Vingt après le dernier essai nucléaire français dans le Pacifique, François Hollande est en visite en Polynésie, où une partie de la population attend des excuses et des réparations pour les 193 essais nucléaires réalisés entre 1966 et 1996. C’est l’étape la plus "sensible" du périple présidentiel dans le Pacifique. Après Wallis et Futuna, le président Hollande est arrivé, lundi 22 février, en Polynésie française, où un vieux serpent de mer l’attend : la "dette nucléaire". Depuis 30 ans, les populations civiles des atolls de Mururoa et Fangataufa attendent des excuses et des indemnisations de l’État pour les 193 essais nucléaires français réalisés dans la zone entre 1966 et 1996. Un épisode traumatisant pour l'archipel du Pacifique : au total, 46 essais ont eu lieu dans l’atmosphère, c’est-à-dire en plein air, et 147 dans des puits souterrains. Avec des conséquences parfois désastreuses sur les populations locales. Mais les indemnisations tardent à arriver en Polynésie. Depuis la loi Morin, votée en 2010, seules une vingtaine de demandes ont abouti sur un millier de dossiers déposés. "Il y a eu exactement 19 dossiers traités depuis 2010, 14 concernent des dossiers de militaires, et cinq de Polynésiens", explique Bruno Barrillot, chercheur à l’Observatoire des armements, et ancien délégué aux conséquences des essais nucléaires pour le gouvernement. "Cette commission chargée de l’indemnisation des victimes des essais nucléaires fonctionne assez mal", déplore le chercheur. "Par exemple, sur les cinq dossiers de Polynésiens qui ont reçu une indemnisation, seule une victime habitait à Mururoa, les quatre autres résidaient à des centaines de kilomètres de l'épicentre des essais. Pourquoi ces dossiers ont-ils été acceptés quand tant d'autres sont rejetés ?" "Et surtout, continue Bruno Barrillot, en vertu de l'article 4 de la loi Morin, cette commission a le pouvoir de rejeter un dossier si le risque encouru par la personne exposée est jugé 'négligeable'. Tout cela est assez arbitraire." Les Polynésiens estiment qu’environ 2 000 personnes résidaient dans le secteur défini par la loi Morin au moment des essais nucléaires. Pourquoi alors "seuls" 1 000 dossiers ont été déposés ? "Parce que les démarches sont assez compliquées, parce qu’il faut venir à Papeete (à Tahiti) pour déposer son dossier et surtout, parce qu’il faut rassembler énormément de papiers. Or, les Polynésiens font partie d’une civilisation de tradition orale…", explique encore Bruno Barrillot. Selon l’expert, près de 540 nouveaux cas de cancers sont détectés chaque année parmi les 270 000 Polynésiens, un chiffre qu'il qualifie d'"alarmant". Pendant le voyage officiel de François Hollande, la population polynésienne attend également un geste du président concernant la "dette nucléaire", surnommée aussi le "milliard Chirac", une dotation annuelle de 150 millions d’euros (un milliard de francs à l’époque) qui vise à compenser la perte d'activité économique engendrée par les essais, et dont le montant n’a cessé d’être revu à la baisse. Selon Le Monde, ce versement en question s’élève, en 2016, à 84 millions d’euros sur un total de 830 millions d’euros que l’État dépense, chaque année, au titre de l’appui au territoire et aux communes. "Ma parole sera la plus attendue, […] sur les réparations, [sur] les indemnisations liées aux essais nucléaires", a confirmé François Hollande lors de son déplacement dans le Pacifique. "Les Polynésiens veulent un geste fort, ils veulent que cette dotation soit pérennisée avec un montant fixe", précise de son côté Bruno Barrillot. Le chercheur de l’Observatoire des armements, qui ignore si le président français honorera toutes ces requêtes, estime que François Hollande aura en tous cas marqué des points en déposant, lundi, une gerbe de fleurs sur la tombe du député polynésien Pouvanaa a Oopa (1895-1977). Ce dernier, défenseur du droit des autochtones, a été condamné pour avoir incendié la ville de Papeete en 1959, et transféré en métropole. "Se recueillir devant sa stèle est en tous cas, un geste fort, très fort pour la population", conclut Bruno Barrillot.